Edène arrive de loin, d’un bord de mer à la beauté suffocante. Elle est venue en France presque sur un coup de tête, parce qu’une possibilité s’est ouverte, parce que tout le monde le fait autour d’elle ou parle de le faire, parce que ça paraissait un meilleur endroit pour mener à bien son projet, écrire des livres. Elle n’en a pas lu beaucoup, ou plutôt : elle a beaucoup lu les mêmes mais elle sait qu’elle veut écrire.
Elle passe la mer. Il fait froid, là. Il pleut beaucoup. Le paysage paraît fondre dans des coulées de boue.
Les filles qu’elle croise à l’université lui paraissent diaphanes, gracieuses, et tout de leur vie serait facile. Elle se sent honteuse devant elle. Son visa étudiant ne lui donne pas le droit de travailler mais elle n’a pas assez d’argent pour vivre sans. Parfois, elle suit les autres dans un bar et chaque fois qu’elle commande un verre, elle compte combien de repas s’en vont là-dedans. Elle trouve un job en douce, elle remplace une autre ouvrière à la blanchisserie de l’abattoir, sous son nom, avec son badge, les autres font semblant de ne rien voir. Et là, il fait trop chaud. Ça lui casse les bras, ça lui brûle les yeux. Impossible de lire ou d’écrire après une journée là-dedans. Quelqu’un lui parle des syndicats, d’autres des associations pour la défense des sans-papiers. Ça pourrait être une piste à suivre… Edène ne la suit pas. Elle lâche peu à peu l’université, perd les quelques amies qu’elle s’y était faite.
Elle quitte la blanchisserie pour écrire.
Elle arrête d’écrire pour retourner à la blanchisserie.
Elle quitte la blanchisserie pour écrire.
Elle se demande : est-ce que c’est ça, une vie en France ? est-ce que c’est ça, une vie ?